#Coupe du Monde Féminine de la FIFA

Partie 3 : Établir des repères physiques par postes

Paul Bradley, 6 févr. 2024

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Dans un article précédent, nous nous sommes intéressés aux performances physiques collectives durant la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2023™. Cette fois, nous étudierons plus en détail la relation entre les exigences physiques et les différents postes. C’est la première fois qu'une telle analyse des performances physiques dans le football international féminin segmente les postes en une série de rôles précis. Nous reviendrons aussi sur l’évolution de certains postes les uns au cours des trois dernières éditions de la Coupe du Monde Féminine.

Points clés

  • Les données recueillies pendant l’édition 2023 nous apprennent que milieux centrales et défensives ont parcouru la plus grande distance totale, tandis que les arrières centrales ont couvert le moins de terrain.

  • L’analyse révèle en outre que les avants-centres effectuent désormais la plus grande distance en sprint.

  • Sur les trois dernières Coupes du Monde Féminines, les tendances concernant le sprint montrent que les postes d’avant-centre et d’arrière centrale sont ceux qui présentent les évolutions les plus marquées.

Définir les postes spécifiques

Les études s’accordent à dire que les exigences physiques qui pèsent sur les joueuses de haut niveau dépendent largement du poste occupé.1-4 Certaines font appel à une catégorisation large des postes (défenseures, milieux de terrain et attaquantes), tandis que d’autres définissent jusqu’à quatre ou cinq rôles différents.2-5 Toutefois, les dernières recherches ont démontré que l’utilisation de rôles spécifiques pour évaluer ces exigences physiques chez les footballeurs de haut niveau en match permet d’obtenir des statistiques plus parlantes.6-7 

Pourtant, aucune recherche n’avait encore réparti les joueuses de champ en postes spécifiques pendant les compétitions internationales. Pour le football féminin, il importe de pallier à ce manque, d’autant que les données de la Coupe du Monde Féminine 2023 sont à jour. Cette analyse est donc la première à répartir les joueuses de champ internationales en huit postes spécifiques, selon les catégories suivantes : 

  • Défenseure centrale (CB)

  • Arrière latérale (AL)

  • Milieu défensive (MD)

  • Milieu centrale (MC)

  • Milieu offensive (MO)

  • Milieu excentrée (ME)

  • Ailière (Ail)

  • Avant-centre (AC)

Il convient de souligner que les postes spécifiques ci-dessus ont été attribués par le fournisseur des données et non l’auteur de cet article. Ces postes s’inspirent des systèmes tactiques utilisés au début des matches ; toutefois, certaines joueuses peuvent avoir tenu différents rôles d'un match à l’autre. Même si l’auteur reconnaît la pertinence de la plupart des postes choisis par le fournisseur des données, des divergences sont apparues à plusieurs reprises.

Les milieux centrales couvrent toujours la plus grande distance
En appliquant une définition simple des performances physiques, les spécialistes peuvent suivre l’influence des tactiques modernes sur certains rôles. Le schéma 1 montre que, pendant la Coupe du Monde Féminine 2023, les milieux centrales et défensives ont parcouru la plus grande distance totale – environ 15% de plus que les arrières centrales, qui ont couvert le moins de terrain. Les résultats sont les mêmes pour Canada 2015 et France 2019.8 Cette tendance donc stable dans le football international féminin de haut niveau.

Les milieux de terrain sont réputées pour leur volume de jeu ; à juste titre puisque les statistiques montrent qu’elles ont parcouru la plus grande distance pendant la Coupe du Monde Féminine 2023. À titre d’exemple, l’Espagnole Teresa Abelleira et la Zambienne Ireen Lungu ont parcouru entre 12,3 et 13,3 km durant les matches sélectionnés. Ces chiffres se situent dans la fourchette haute pour les milieux de terrain internationales modernes (schéma 1). Ce résultat n’est pas surprenant car les milieux de terrain sont très actives durant toutes les phases de jeu. Les activités durant la possession et en dehors (se démarquer, remonter le ballon, se replier et presser, etc.) réclament des joueuses particulièrement dynamiques à ce poste. L’exigence minimale pour une milieu de terrain moderne tourne autour de 8,7 km, soit l’une des plus élevées tous postes confondus. 

À l’inverse, les arrières centrales ont une activité plus sporadique, qui se concentre surtout sur les phases hors possession, d’où le faible total de distance parcourue. Cependant, leur activité dépend en grande partie du profil des attaquantes adverses.9 Par exemple la Philippine Jessika Cowart a parcouru environ 11,6 km contre la Suisse, soit la plus grande distance totale à ce poste sur l’ensemble de la compétition. Dans ce match, les Suissesses ont réalisé leur meilleure performance en termes de déplacement en profondeur et dans le dernier tiers. Pour faire face, les défenseures philippines ont dû exercer un nombre de pressings inédits sur leurs trois sorties dans cette édition 2023, ce qui explique la performance de Cowart. À l'inverse, l’arrière centrale canadienne Kadeisha Buchanan n’a parcouru que 7,8 km face au Nigeria, soit la plus petite distance totale de la compétition. Buchanan n’a pas eu besoin de défendre beaucoup dans ce match car son équipe était constamment en phase offensive, comme le montrent les chiffres de progression et d’activité dans le dernier tiers – les plus hauts obtenus par le Canada dans cette compétition.

Les reines du sprint
Les chercheurs ont l’habitude de se focaliser sur les activités de haute intensité (>19 km/h), en raison de leur importance dans les moments clés du match. Le schéma 2 montre que les milieux excentrées et les ailières ont parcouru plus de terrain à cette vitesse (entre 42 et 89%) que les arrières centrales et milieux centrales/défensives. La distance moyenne parcourue à haute intensité est d’environ 0,8 km pour ces postes. En haut de l’échelle, on trouve la Zambienne Racheal Kundananji et l’Haïtienne Roseline Éloissaint avec une moyenne comprise entre 1,4 et 1,6 km, ce qui montre à quel point ces postes sont exigeants dans le football féminin moderne. Ces résultats peuvent aussi s’expliquer par les qualités physiques supérieures des latérales par rapport aux joueuses habituées à évoluer dans l’axe.

Il convient toutefois de faire preuve d’une grande prudence dans ces assertions car le lien de causalité ne saute pas aux yeux. À titre d’exemple, la distance en haute intensité parcourue par les latérales peut aussi être liée à l’espace dont elles disposent pour accélérer et atteindre des vitesses élevées, quand cela s’avère nécessaire sur le plan tactique. De plus, les latérales sont peut-être plus actives à haute intensité en raison des stratégies modernes : les équipes forment désormais souvent un bloc médian compact afin d’obliger l’adversaire à passer par les côtés pour se procurer des occasions.6 

Sans oublier que les joueuses qui évoluent dans l’axe sont dans une zone plus dense, ce qui limite les occasions d’accélérer pour prendre les espaces. C’est particulièrement vrai lorsqu’on leur demande de faire preuve de rigueur et de demeurer dans des zones médianes denses pendant de longues périodes. Ces facteurs contribuent à expliquer pourquoi les joueuses axiales ont effectué le moins de courses à haute intensité (entre 0,4 km et 0,6 km par match) tout au long de la compétition.

Cette analyse révèle en revanche un fait nouveau : les avants-centres parcourent désormais la plus grande distance en sprint. Le schéma 3 montre notamment qu’elles ont effectué 263 m de sprint par match en moyenne. Les autres postes à vocation offensive (milieux offensives, milieux excentrées et ailières) affichent des statistiques inférieures de 7 à 8%. Il est intéressant de rappeler que les joueuses offensives latérales avaient parcouru autant voire plus de distance en sprint que les avants-centres, tant lors de Canada 2015 que de France 2019. L’une des principaux missions de l’avant-centre consiste à se démarquer rapidement pour recevoir le ballon dans les zones d’attaque, notamment en effectuant des appels dans le dos de la défense adverse.7 À ce titre, il est significatif que les avants-centres aient effectué 45 à 80% de courses en profondeur de plus que les autres joueuses offensives.

Ces chiffres vont souvent de pair avec un pressing intense, initié par les attaquantes. Ces deux facteurs peuvent contribuer à expliquer dans une large mesure l’évolution des distances parcourues en sprint par les avants-centres. Ces dernières ont couvert entre 39 et 163% de distances en sprint par rapport aux postes défensifs (arrières centrales et latérales, milieux défensives et centrales) sur l’ensemble de la Coupe du Monde Féminine 2023. Il semble donc judicieux de développer des exercices d’entraînement dans lesquels les joueuses effectuent des courses en sprint caractéristiques de leurs postes, en prenant en compte ces nouvelles tendances. 

Le schéma 4 montre que les milieux offensives, les milieux excentrées, les ailières et les avant-centres ont atteint les vitesses maximales les plus rapides (entre 29,1 et 29,4 km/h), alors que les milieux défensives et centrales se situent en bas de l’échelle (entre 28 et 28,1 km/h). Les avants-centres (30%), les ailières (20%) et les milieux offensives (20%) représentent 70% de dix vitesses les plus rapides enregistrées tout au long de la compétition. Les 30% restants sont l'œuvre de joueuses occupant des postes défensifs. Ces statistiques confirment l’importance de cet attribut à tous les postes du football féminin international, notamment pour les joueuses à vocation offensive. L’exactitude de ces mesures peut toutefois être impactée par la fréquence d’échantillonnage du système de suivi optique. Il convient donc d’interpréter ces données avec prudence.

Graphique à quadrants par postes

L’utilisation des données de match pour concevoir des exercices spécifiques à chaque poste apparaît comme essentielle à ce stade.10 Dans l’idéal, ces exercices devraient comporter une surcharge sollicitant les qualités physiques pour permettre aux joueuses de remplir leur rôle pendant 90+ minutes (volume) et notamment pendant les périodes de jeu intense (intensité). Les données des matches de la Coupe du Monde Féminine 2023 ont fait l’objet d’une étude innovante mettant en avant la corrélation de ces deux dimensions dans une série de graphiques à quadrants. En comparant la distance totale avec celle parcourue à haute intensité (>19 km/h), le schéma 5 identifie les postes les plus exigeants en termes de volume et ceux basés sur l’intensité. La répartition des joueuses par quadrant a été ajoutée pour mettre en évidence les différences entre les postes.

Comme attendu, la majorité des arrières centrales se retrouvent dans le quadrant inférieur gauche (87%). Ce résultat confirme qu’elles enregistrent des statistiques relaitvement basses en termes de volume et d’intensité. Les arrières latérales peuplent principalement le quadrant inférieur gauche (42%), même si elles sont également présentes dans le quadrant supérieur gauche (21%) et supérieur droit (23%). On peut en déduire que les arrières latérales ont couvert des distances relativement faibles durant la compétition, mais avec une intensité variable. Les performances physiques des milieux centrales et défensives sont similaires : elles se retrouvent majoritairement dans le quadrant inférieur droit (entre 44 et 50%). Cela prouve que les deux postes demandent de parcourir des distances considérables, mais pas toujours à haute intensité puisque plusieurs joueuses se situent dans les quadrants supérieur droit (entre 17 et 21%) et inférieur gauche (entre 31et 32%).

Les milieux latérales, ailières et avants-centres occupent principalement le quadrant supérieur droit (entre 40 et 61%), ce qui dénote des performances élevées tant au niveau du volume que de l’intensité. On observe néanmoins une variation substantielle d’une joueuse à l’autre à ces postes, certaines d’entre elles se situant dans le quadrant supérieur gauche (entre 18 et 32%). Enfin, le poste d’avant-centre est celui qui connaît le plus de variations puisqu’aucun quadrant majoritaire ne se dégage. Ceci peut s’expliquer par la présence de profils assez divers dans l’échantillon (par exemple : fausses 9, attaquantes de soutien, pivots, buteuses, etc).

On pourrait déduire de ces tendances le degré de préparation physique nécessaire pour ces postes, mais la prudence est de mise au vu des variations existantes d’un profil à l’autre. Cet avertissement vaut particulièrement pour les avants-centres, qui se répartissent de manière presque égale entre les quatre quadrants. Face à un tel éparpillement, la préparation physique doit toujours correspondre à l’âge et aux capacités des joueuses occupant ces postes, sans oublier le style de jeu adopté par l’équipe. 

Sprints par poste sur les trois dernières Coupes du Monde Féminines

Le schéma 6 met en évidence les distances de sprint sur les trois dernières éditions de la Coupe du Monde Féminine. Il s’agit du plus grand échantillon de joueuses internationales jamais analysé, avec plus de 2 000 statistiques individuelles. La zone 5 est identique dans les trois compétitions, mais les systèmes de suivi optique ne sont pas les mêmes. Le système STATS LLC a été utilisé en 2015 et 2019, avant de laisser la place à TRACAB CH en 2023. À cause des différentes technologies utilisées, il serait difficile de comparer les postes entre les éditions 2015, 2019 et 2023. C’est donc une analyse de certains postes en haut et en bas de l’échelle des distances de sprint qui a été retenue. Pour cette comparaison, l’auteur a calculé des mesures relatives plutôt qu’absolues (par exemple : la distance en zone 5 en pourcentage de la distance totale, plutôt que la distance en zone 5 en mètres). Les postes choisis ont été regroupés dans le schéma 6 car les données de 2015 et 2019 n’étaient pas réparties en huit catégories (par ex. : milieu défensive/centrale).

Le schéma 6 met en évidence une tendance nette dans le bas de l’échelle, pour chaque compétition : les arrières centrales et les milieu centrales/défensives ont parcouru la plus petite proportion de distance en sprint. Compte tenu des points communs entre ces deux postes sur les trois compétitions, une comparaison des statistiques entre chaque édition devrait permettre de faire apparaître des évolutions. En 2015, les arrières centrales ont effectué 11% de sprints de plus que les milieux centrales/défensives. Quatre ans plus tard en France et huit ans plus tard en Australie et Nouvelle-Zélande, les arrières centrales ont parcouru entre 21 et 26% de distance en sprint de plus que les milieux centrales/défensives.

Une autre tendance nette en haut de l’échelle de chaque compétition concerne les avants-centres e les milieux excentrées/ailières, qui ont effectué la plus grande proportion de distance en sprint. En 2015, la différence entre ces postes était insignifiante. Mais en France, les avant-centres ont sprinté 11% de moins que les milieux excentrées/ailières. En Australie et Nouvelle-Zélande, cette tendance s’est inversée puisque les avants-centres ont parcouru 11% de distance en sprint de plus que les milieux excentrées/ailières. 

Les chiffres de sprint pour deux postes opposés (par exemple : attaquantes et arrières centrales) pourraient être intimement liés. Cette interdépendance est logique : les avant-centres pénètrent dans les espaces ou courent avec le ballon, tandis que les arrières centrales réagissent à travers diverses courses pour presser, couvrir ou se replier. Même si l’auteur s’est montré extrêmement prudent dans cette analyse en se contentant d'observer des tendances par postes avec des chiffres relatifs, il convient de garder à l’esprit les nombreuses réserves concernant la comparaison de données issues de différents systèmes de suivi optique et, donc, de faire preuve de réserve.

Références

  1. Bradley PS & Vescovi J. Velocity thresholds for women’s soccer matches: sex specificity dictates high-speed running and sprinting thresholds – Female Athletes in Motion (FAiM). International Journal of Sports Physiology and Performance. 2015, 10(1): 112-116.

  2. Mohr M, Krustrup P, Andersson H, Kirkendal D & Bangsbo J. Match activities of elite women soccer players at different performance levels. Journal of Strength and Conditioning Research. 2008, 22(2): 341-349. 

  3. Datson N, Drust B, Weston M, Jarman IH, Lisboa PJ & Gregson W. Match Physical Performance of Elite Female Soccer Players During International Competition. Journal of Strength and Conditioning Research. 2017, 31(9): 2379-2387.  

  4. Bradley PS, Dellal A, Mohr M, Castellano J & Wilkie A. Gender differences in match performance characteristics of soccer players competing in the UEFA Champions League. Human Movement Science. 2014, 33: 159-171. 

  5. Nakamura FY, Pereira LA, Loturco I, Rosseti M, Moura FA & Bradley PS. Repeated-Sprint Sequences During Female Soccer Matches Using Fixed and Individual Speed Thresholds. Journal of Strength and Conditioning Research. 2017, 31(7): 1802-1810. 

  6. Bradley P. ‘Setting the Benchmark’ Part 1: The Contextualised Physical Demands of Positional Roles in the FIFA World Cup Qatar 2022. Biology of Sport. 2024, 41(1): 261-270.

  7. Ju W, Doran D, Hawkins R, Evans M, Laws A & Bradley PS. Contextualised high-intensity running profiles of elite football players with reference to general and specialised tactical roles. Biology of Sport. 2023, 40(1): 291-301.

  8. FIFA, Analyse physique de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019™ (2020) Disponible à l’adresse : img.fifa.com/image/upload/zijqly4oednqa5gffgaz.pdf. Consulté en janvier 2024.

  9. Bradley PS. The Premier League Way: Contextualising the Demands of the World’s Most Intense League. 2022, Amazon, United Kingdom.

  10. Ade JD, Drust B, Morgan O & Bradley PS. Physiological characteristics and acute fatigue associated with position-specific speed endurance soccer drills: production vs maintenance training. Science and Medicine in Football. 2020, 5(1): 6-17.

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