Introduction
La phase de groupes de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2023™ a été absolument captivante. Comme le souligne Jill Ellis, double championne du monde et responsable du Groupe d’étude technique pour la compétition, « le plus grand motif de satisfaction pour l’instant, ce sont les progrès réalisés par les équipes durant cette compétition. Les nations émergentes prouvent qu’elles sont compétitives à ce niveau et que l’écart avec les meilleures équipes se rétrécit. Les investissements réalisés dans le football féminin portent déjà leurs fruits. Les joueuses sont plus affûtées physiquement, plus techniques et plus fines tactiquement. Ça joue plus vite et le niveau tactique est plus élevé. Les équipes sont très bien organisées défensivement et il est de plus en plus difficile de marquer. Mais elles font également preuve d’une capacité à changer d’approche tactique. On voit de plus en plus de schémas tactiques différents, car les joueuses sont capables de s’adapter », ajoute-t-elle.
Une compétitivité accrue
Si on compare à l’édition 2019, le nombre de buts par match en phase de groupes est passé de 2,94 à 2,63 en 2023. L’écart de buts moyen par match a également diminué, passant de 2,06 buts d’écart par match en 2019 à 1,92 cette année. Par ailleurs, le pourcentage de matches soldés par un match nul est passé de 8% à 21%. Ces chiffres indiquent que les matches sont de plus en plus disputés, alors même que la compétition est passée de 24 à 32 équipes.
Il y a également une évolution notable concernant le moment où les buts sont inscrits. En moyenne, les équipes marquent plus tôt, le pourcentage de buts inscrits en première période ayant augmenté de 9% comparé à 2019. Cette tendance est particulièrement forte chez les équipes qui ne se sont pas qualifiées pour la phase à élimination directe : leur pourcentage de buts inscrits en première période est passé de 17% en 2019 à 44% en 2023.
Chose intéressante, le pourcentage de buts marqués lors des 30 premières minutes en phase de groupes est passé de 23,5% en 2019 à 32,5% cette année. En parallèle, le pourcentage de buts inscrits après la 76eminute a diminué, passant de 27,6% à 20,8%, ce qui suggère à la fois que les équipes fatiguent en fin de match et qu’elles sont capables de maintenir une intensité défensive élevée pendant plus longtemps.
DES BLOCS COMPACTS POUR EMPÊCHER L’ÉQUIPE ADVERSE DE PERFORER LA DÉFENSE
Comparé à 2019, les équipes de cette Coupe du Monde Féminine sont plus regroupées et opèrent avec des blocs bas ou médians plus resserrés. Comme le montre le graphique ci-dessous, les équipes en bloc médian s’étalaient en moyenne sur 36,8 mètres en 2019, contre 35,4 mètres cette année. Même constat en bloc bas, puisque l’étalement moyen est passé de 34,2 mètres à 32,8 mètres.
Le principal intérêt d’avoir un bloc bas ou médian compact est de protéger l’axe, privant ainsi l’adversaire des espaces nécessaires pour ouvrir des brèches dans la défense. Cette tactique de verrouillage de l’axe s’est révélée efficace , et si l’on compare avec la phase de groupes de France 2019, on peut voir dans le graphique ci-dessous que 31% des tentatives de cassage de lignes s’étaient faites dans l’axe. En 2023, ce chiffre est tombé à 25%. Conséquence directe, les tentatives de cassage de lignes sur les côtés ont vu leur pourcentage passer de 26% à 28%, et celles en jouant par-dessus la défense de 43% à 47%.
Une analyse portant sur les 16 équipes qualifiées pour la deuxième phase montre que le nombre de cassages de lignes réussis a chuté de 24%, passant de 24,9 pour 90 minutes en 2019 à 18,8 pour 90 minutes en 2023.
Variations stratégiques du pressing
Outre des blocs plus compacts, on a pu noter lors de l’édition 2023 des variations stratégiques très intéressantes dans le recours au pressing (moment, zone du terrain, type de pressing).
Pour Anna Signeul, cela indique que les équipes comprennent bien à quel moment elles doivent presser ou au contraire conserver leur bloc défensif. « On voit que les rôles en défense sont parfaitement compris », explique-t-elle. Les joueuses savent quoi faire, quand le faire et pour quelle raison. Elles connaissent également le rôle tenu par leurs partenaires et sont capables de permuter pour colmater les brèches si leur structure défensive est mise à mal.
« Les équipes se déplacent sur le terrain en bloc soudé et coordonné avant de prendre la décision d’exercer le pressing. La relation technique, la communication et le peu d’espace entre les lignes du milieu et de la défense font très forte impression. »
Comme on le voit dans les vidéos ci-dessous, les équipes utilisent à merveille leur bloc défensif, non seulement pour récupérer le ballon, mais aussi pour déclencher des contre-attaques rapides et se procurer des occasions.
GARDIENNES : PLUS DE BALLONS BOXÉS, MOINS DE BALLONS CAPTÉS
Durant la phase de groupes, on a pu noter que les gardiennes boxaient plus souvent le ballon qu’auparavant (3,8 fois par match contre 3,5 en 2019). On remarque également que, si l’on prend uniquement les équipes qualifiées pour la deuxième phase, ces interventions ont obtenu un taux de réussite supérieur (82% en 2023 contre 78% en 2019).
D’après l’ancienne gardienne de la sélection allemande et actuelle membre du Groupe d’étude technique Nadine Angerer, les gardiennes n’ont jamais été aussi affûtées physiquement et participent davantage au jeu. « Il y a beaucoup plus de situations avec des grappes de joueuses dans la surface de but, notamment sur les coups de pied arrêtés, mais les gardiennes ont su s’y adapter. Dans ces situations, il est plus risqué d’essayer de capter le ballon. À moins d’être certaine de pouvoir le capter proprement, la gardienne a plutôt intérêt à boxer le ballon. »
Comme on peut le voir dans les vidéos ci-dessous, ces situations sont récurrentes dans cette compétition lors des phases arrêtées, et il est plus difficile pour les gardiennes de s’emparer du ballon. Comme l’a remarqué Pascal Zuberbühler, la qualité de la synchronisation et de la prise de décision sont essentielles dans ces situations. « Je suis impressionné par le timing des sorties, car rien n’est laissé au hasard », souligne-t-il. « La position de départ et l’orientation du premier pas par rapport au placement des autres joueuses sont des facteurs décisifs. Il faut tenir compte de la hauteur et de la vitesse du ballon pour ajuster le timing et la détente du saut de manière à effectuer la bonne intervention.
« En revanche, lorsque l’attaque adverse met beaucoup de pression, je pense que les gardiennes pourraient être mieux protégées par leur défense. C’est un point à travailler avec les joueuses de champ pour qu’elles comprennent le rôle important qu’elles ont à jouer ».
GARDIENNES : AMORCER LES ACTIONS OU LES CONTRE-ATTAQUES PAR DES RELANCES À LA MAIN
Les gardiennes font preuve d’un instinct plus sûr pour savoir comment et à quel moment distribuer le ballon, et elles jouent un rôle particulièrement important pour amorcer des contre-attaques rapides après avoir capté le ballon dans leur surface de réparation. « Nous avons vu de très bonnes longues relances à la main, soit pour amorcer une nouvelle action, soit pour lancer une contre-attaque », note Nadine Angerer. « Cela va plus vite de relancer le ballon à la main que de le poser par terre et de taper dedans. Une relance rapide et précise laisse moins de temps à l’équipe adverse pour se replacer et offre un excellent moyen d’éliminer des joueuses qui pourraient gêner en défense. »
Facteurs à prendre en compte pour les gardiennes avant d’effectuer une relance à la main
Lorsqu’une gardienne capte le ballon dans sa surface de réparation, elle doit analyser rapidement la situation sur le terrain. En une fraction de seconde, elle doit évaluer s’il y a une bonne opportunité d’amorcer une contre-attaque avec une relance rapide à la main, ou s’il vaut mieux garder le ballon avant de le relancer à la main ou au pied vers une partenaire.
Voici les questions que doit se poser la gardienne avant de prendre sa décision :
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Est-ce que l’adversaire a pu se réorganiser ?
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Est-ce que mon équipe possède une supériorité numérique ou une situation de un contre un favorable quelque part sur le terrain ?
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Est-ce que les joueuses sont prêtes à recevoir le ballon ?
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Est-ce que j’ai assez de monde en défense si on perd le ballon ?
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Est-ce que la joueuse visée peut recevoir le ballon dans la profondeur (s’il y a suffisamment d’espace devant elle) ou faut-il qu’elle le reçoive dans les pieds (s’il y a trop de monde autour d’elle) ?
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Est-ce que je peux envoyer le ballon aussi loin ?
Comme l’a remarqué Angerer, « il est évident que certaines équipes ont élaboré des stratégies pour exploiter au maximum les opportunités pouvant découler de ces situations, tout particulièrement lors des phases de transition défense-attaque. De l’autre côté du terrain, les attaquantes peuvent se retrouver en un contre un avec une défenseure, et dès que la gardienne a récupéré le ballon, elles n’attendent que de recevoir le ballon. Travailler ces situations à l’entraînement permet à l’équipe de réagir plus vite et cela aide la gardienne à prendre la bonne décision. Les joueuses apprennent à se projeter vers l’avant pour recevoir le ballon et les gardiennes apprennent à reconnaître ces situations. »
Comme on peut le voir dans les vidéos ci-dessous, les gardiennes font des relances à la main soit pour amorcer des contre-attaques, soit pour démarrer proprement une nouvelle phase de possession.
UTILISATION DES COULOIRS ET DE PLUSIEURS TYPES DE CENTRES POUR SE PROCURER DES OCCASIONS DE BUT
En phase de groupes, on a pu constater qu’une part de buts plus importante a été inscrite sur des centres. Cela en dépit du fait que le nombre de centres dans le jeu ouvert a diminué comparé à 2019, passant de 28,5 à 24,2 centres par match, ce qui montre que les équipes sont plus efficaces lorsqu’elles tentent de marquer sur des centres dans cette Coupe du Monde Féminine.
Si on analyse tous les buts marqués à la suite d’un centre (en excluant les buts contre son camp, les penalties et les coups francs directs), on s’aperçoit qu’en 2019, 51% des buts étaient marqués dans les 10 secondes qui suivaient le centre. En 2023, ce pourcentage s’élève à 58%, même si moins de centres ont été tentés.
Gemma Grainger, actuelle sélectionneuse du pays de Galles et membre du Groupe d’étude technique, estime que cette évolution tient à plusieurs facteurs. « On constate une nette amélioration des prises de décision et des mouvements des joueuses dans le dernier tiers », explique-t-elle. « Les équipes ont beaucoup progressé dans le choix et l’exécution des différents types de centres, mais aussi dans leurs mouvements visant à aspirer la défense (pour créer des espaces) et à recevoir le ballon à l’intérieur de la surface. »
Types de centres
62% des incursions dans le dernier tiers ayant désormais lieu sur les côtés, la façon dont les équipes jouent dans ces zones est de plus en plus importante. Comme le souligne Gemma Grainger, « les équipes jouent de manière plus stratégique dans cette partie du terrain, les joueuses ont une meilleure lecture du jeu et cela se voit clairement dans leur prise de décision. Elles optent pour différents types de centres en fonction de la situation. Les centres précis à ras de terre sont une évolution tactique contre laquelle il est difficile de défendre. »
Si le nombre de centres aériens et appuyés a diminué comparé à 2019, le nombre de centres précis à ras de terre (généralement joués courts et sans grande puissance de l’intérieur ou de l’extérieur du pied) est passé de 4,1 (2019) à 5,7 (2023) durant la phase de groupes.
Nombre de joueuses à la réception des centres dans la surface
Autre évolution intéressante : dans le jeu ouvert, le nombre moyen de joueuses en attaque présentes dans la surface de réparation au moment du centre (en excluant la joueuse qui effectue le centre) a augmenté, passant de 2,2 en 2019 à 2,4 en 2023. Les membres du Groupe d’étude technique ont remarqué que la qualité de mouvement des joueuses dans la surface s’est améliorée, que ce soit pour réceptionner le centre ou pour créer des espaces pour leurs partenaires. L’ancienne attaquante de l’Allemagne Anja Mittag explique que cela offre de bien meilleures solutions à la joueuse qui centre.
« Les joueuses peuvent être à la fois plus créatives et plus précises lorsqu’elles centrent. Elles sont en mesure de mieux choisir le point de chute du ballon, mais aussi le type de centre le plus adapté. Cela complique la tâche pour la défense car les équipes exploitent de plus en plus la moindre erreur défensive. »
Dans les vidéos ci-dessous, on peut voir quatre exemples de la manière dont les équipes utilisent les couloirs pour se procurer des occasions.
Dans le premier exemple, la Suède étire le jeu grâce au positionnement de la latérale droite et de l’attaquante droite. Dès qu’une brèche s’ouvre dans l’axe, les Suédoises perforent la défense argentine avant d’écarter le jeu et de centrer dans la surface.
Dans la deuxième vidéo, l’Espagne crée un surnombre sur le côté gauche. Les joueuses qui occupent l’espace sur l’aile attirent l’attention de la défense, ce qui offre à l’Espagne la possibilité de jouer dans la profondeur et facilite l’exécution d’un centre sans opposition.
La troisième vidéo montre bien comment les attaquantes portugaises mobilisent la défense pour créer des espaces et centrer côté droit. Dès que la latérale droite Lúcia Alves (3) reçoit le ballon dans la profondeur, elle peut centrer sans opposition, avec but à la clé.
Dans la dernière vidéo, on peut voir comment l’Australie a exploité l’espace dans le dos de la défense canadienne par une longue course dans le couloir gauche. L’action se conclut par une poussette qui débouche sur le troisième but.
ATTAQUE : LES CORNERS RENTRANTS
Le Groupe d’étude technique a observé que les équipes s’étaient préparées de manière à frapper davantage de corners rentrants. Ainsi, les corners terminent plus souvent leur trajectoire à proximité immédiate du but. On note également une hausse du pourcentage de corners ayant donné lieu à des buts, bien que, d’après les statistiques, la probabilité que l’équipe en attaque touche le ballon la première soit légèrement moins élevée qu’en 2019.
Lors de la phase de groupes, 20 buts ont été inscrits dans les 15 secondes après que le corner a été tiré. Jusqu’ici, lors de l’édition 2023, environ un corner sur 23 a débouché sur un but, contre un pour 28 en 2019.
Le pourcentage de corners frappés directement dans la surface de but est passé de 36% en 2019 à 43% en 2023. Pourtant, l’équipe en attaque touche moins souvent le ballon en premier (41% des fois en 2019, 36% en 2023).
Autre tendance intéressante, la forte augmentation du pourcentage de corners du côté gauche frappés avec le pied droit, lequel passe de 41% en 2019 à 89% en 2023. Même constat pour les corners du côté droit frappés avec le pied gauche, dont le pourcentage passe de 21% à 56%. Des chiffres qui témoignent d’une volonté délibérée de frapper davantage de corners rentrants.
Qualité des corners
Dans les vidéos ci-dessous, on peut voir quatre exemple de buts marqués sur corner rentrant, le ballon étant frappé directement dans la surface de but. Dans chaque exemple, la qualité et la précision du corner jouent un rôle primordial. La première partie de la compétition montre très clairement que les joueuses ont beaucoup travaillé la qualité et la précision de leurs coups de pied arrêtés.
Dans la première vidéo, on peut voir la Suédoise Amanda Ilestedt (13) marquer en jaillissant sur un corner au premier poteau. D’après Nadine Angerer, il est très difficile pour la gardienne d’intervenir sur ce type d’action. « Le ballon arrive entre le premier poteau et la position de départ de la gardienne. Celle-ci n’a pas le temps de couvrir la distance nécessaire pour couper la trajectoire du ballon », explique-t-elle. « Si le corner est à la fois précis et fort, seules les défenseures peuvent réellement contester le ballon dans cette zone. »
SUITE DES ANALYSES
Le Groupe d’étude technique suivra et analysera tous les matches restant à disputer dans cette compétition passionnante. Il continuera de s’intéresser aux thématiques abordées dans ce document – lesquelles seront étudiées plus en détail dans le rapport d’après-compétition – ainsi qu’à toutes les nouvelles tendances susceptibles d’émerger en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Leurs observations et analyses statistiques connexes seront comparées avec celles de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2019™ et mises à disposition du grand public sur le Centre de ressources techniques de la FIFA, dans le but de contribuer au développement continu du football féminin.