La jeune femme de 19 ans a fait étalage de ses nombreux atouts lors de cette compétition : performances inspirées, prise de décisions de qualité, présence, technique individuelle et courage, pour n’en citer que quelques-uns. C’est donc fort logiquement qu’elle est repartie de Colombie avec le Gant d’or adidas de la Coupe du Monde Féminine U-20 de la FIFA.
Les membres du Groupe d’étude technique ont été impressionnés par sa capacité à gérer des situations particulièrement compliquées. De leur côté, ses coéquipières ne s’y sont pas trompées et lui ont accordé une confiance aveugle, aussi bien en phase de possession que de récupération. Si Liefting a brillé par sa constance, elle a aussi su se montrer déterminante dans les moments importants des grands matches, à l’image de ses deux interventions décisives lors de la séance de tirs au but contre la Colombie, en quart de finale, dans un stade comble.
Parallèlement, la jeune femme a suivi deux heures de cours par jour durant la compétition, confiant au passage une prédilection pour les mathématiques. Sans doute n’y avait-il rien d’étonnant, donc, à la voir appliquer une froide logique au moment de calculer la meilleure solution dans les différents scénarios.
Dans cet article, Pascal Zuberbühler, membre du Groupe d’étude technique, revient sur deux aspects du jeu de Femke Liefting qui témoignent à la fois de ses qualités techniques et de son influence sur le jeu de son équipe.
Sans ballon
Défendre l’espace hors de la surface de réparation
La capacité de Liefting à venir en soutien et à défendre l’espace en dehors de sa surface de réparation constitue l’une des principales caractéristiques de son jeu. Elle a ainsi fait preuve d’une grande sûreté de jugement lorsqu’il lui a fallu choisir entre sortir pour défendre l’espace et rester sur sa ligne pour protéger son but.
Pour Zuberbühler, « la première chose qu’une gardienne doit savoir, c’est si la joueuse en possession du ballon est en situation de tirer au but. Si c’est le cas, alors la priorité est de défendre sa cage. Elle pourra se préoccuper de défendre l'espace dans un second temps, mais sa première obligation doit être de protéger son but. Néanmoins, il arrive parfois au cours d’un match qu’une gardienne doive aller défendre l’espace qui se trouve à l’extérieur de sa surface de réparation ».
Lorsque la ligne défensive risque de céder et que se pose la question de tenter une interception en dehors de la surface de réparation, une gardienne doit être en mesure de repérer et de comprendre un certain nombre de signaux.
« Le premier et le plus important concerne la position du ballon et l’orientation de la joueuse en possession. Si la gardienne estime que cette joueuse n’est pas en mesure de tirer au but, elle peut alors prendre l’information : observer les autres adversaires et leur situation par rapport aux défenseures ; voir si la joueuse en possession peut servir l’une de ses partenaires qui pourra ainsi accéder à des zones plus dangereuses.
« Dans de telles situations, les capacités cognitives de la gardienne sont mises à l’épreuve car elle doit interpréter le scénario de l’action et anticiper la trajectoire du ballon. Il faudra par exemple repérer s'il s'agit d'un ballon au sol ou aérien. Car la réponse à apporter ne sera pas la même en fonction de ce paramètre. La vitesse de circulation du ballon est un autre facteur essentiel, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer les appels des adversaires qui accompagnent l'action. Une gardienne doit prendre en compte de nombreux éléments. Elle doit donc être en mesure d’observer, d’interpréter et de se décider rapidement.
« Une fois qu'elle a fait son choix – sortir ou rester sur la ligne – elle doit agir rapidement. C’est là que les premières foulées sont les plus importantes, car en cas d’intervention en dehors de la surface de réparation, le timing fait toute la différence. La gardienne veut-elle récupérer ballon pour enclencher une nouvelle phase de construction ou cherche-t-elle à arriver avant l'adversaire pour dégager le ballon ? Le ballon se présente-t-il au sol ou en l’air ? Il faut toujours adapter son geste à la situation et à ses spécificités. »
On l’aura compris, une intervention à l’extérieur de la surface est un exercice complexe ; c’est pourtant un domaine dans lequel Liefting s’est montrée particulièrement à son aise. Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, la gardienne néerlandaise a dû gérer 17 passes en profondeur, soit 13,3 de plus que la moyenne de la compétition (3,7). Or, quatre d’entre elles se sont produites en dehors de la surface de réparation. Au total, elle a procédé à 8 dégagements, soit 6,6 de plus que la moyenne de la compétition (1,4). Un tel chiffre témoigne de sa présence, de la qualité de sa prise de décision et de son efficacité dans de telles situations.
Les trois vidéos ci-dessous illustrent la façon dont Liefting s’y est prise pour gérer l’espace hors de sa surface de réparation.
« Dans la vidéo n 1, sa position de départ est excellente », souligne Zuberbühler. « Elle observe la situation et remarque que l’ailière française, Aïrine Fontaine (n°11), n’a aucune chance de marquer depuis cette position. Une fois la passe en profondeur effectuée, elle prend la bonne décision : elle s’élance sans hésiter, en tenant compte de l’appel de l’attaquante adverse. L’action se conclut sur un dégagement parfaitement maîtrisé. »
« Dans la vidéo n°2, Liefting fait preuve de courage et de détermination mais, là encore, tout découle d’une bonne position de départ. La latérale droite japonaise Rio Sasaki (n°6) intercepte le ballon et se retrouve en possession, au niveau de la ligne médiane. Liefting estime qu’elle n’est pas en position de marquer et analyse les options de la porteuse. Le Japon contourne la ligne défensive néerlandaise, ce qui la place face à une situation délicate. Liefting décide finalement de rester sur place, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive que sa coéquipière ne sera pas en mesure d’intervenir. À ce moment, elle décide de sortir. Sa prise de décision et son timing sont irréprochables. Son excellente lecture du jeu, son courage, sa détermination et sa présence lui permettent d’être la première sur ce ballon pour le dégager. »
« La vidéo n°3 illustre, elle aussi, sa solide compréhension du jeu. Elle prend une nouvelle fois l’information et remarque la vélocité de l’attaquante américaine Taylor Suarez (n°14). Elle comprend que sa pointe de vitesse va lui permettre de prendre la défense à revers. Si elle reste dans sa surface de réparation, Liefting risque de devoir gérer une situation de un contre un. Heureusement pour elle, elle réagit rapidement, sort et dégage le ballon après être partie dans le bon timing. C’est une intervention digne d’une gardienne de très haut niveau », conclut Zuberbühler.
Avec ballon
Distribution
Quand les Pays-Bas avaient le ballon, Liefting s’est révélée efficace pour casser les lignes défensives adverses en repérant les possibilités de jeu vers des coéquipières bien placées, selon Zuberbühler.
« On voit qu’elle sait lire le jeu et qu’elle comprend ce type de situations. Avant même de recevoir le ballon, elle sait où se trouve l’espace et où sont placées ses coéquipières, car elle prend l’information. Elle repère tout de suite les possibilités de passe en profondeur ou dans les pieds qui se présentent à elle. Cette qualité dans la prise de décision et l’exécution est assez remarquable pour une joueuse de cet âge. »
Avant de recevoir le ballon, la gardienne doit avoir une idée précise de ce qui se passe devant elle et des possibilités qui s’offrent à elle. Une fois le ballon reçu, il faut de nouveau prendre l’information et délivrer sa passe dans le bon timing. Comprendre si la situation a évolué. S'il vaut mieux jouer rapidement à une touche de balle vers une partenaire ou dans l’espace, ou contrôler le ballon et indiquer ses intentions du regard à une coéquipière afin qu'elle puisse anticiper la relance.
« Il y a d’autres éléments importants à prendre en considération. Pour une gardienne, le timing est crucial : selon les circonstances, elle peut alerter une coéquipière rapidement pour créer une situation de un contre un ou de deux contre un ou, au contraire, calmer le jeu pour permettre à une partenaire d'adopter un meilleur placement. Une fois la décision prise, c’est la qualité d’exécution de la passe qui fait toute la différence. Le timing, le dosage, la trajectoire et la vitesse sont autant d’éléments cruciaux, en fonction desquels la destinataire sera en mesure ou non de contrôler, de conserver ou de faire progresser le ballon. »
En comparant les statistiques de Liefting à la moyenne des autres gardiennes présentes en Colombie, on constate que la Néerlandaise sort nettement du lot. Elle a ainsi réussi 100% de ses passes à l’extérieur du bloc adverse et 100% de ses franchissements de lignes à l’extérieur de cette même structure.
Pour illustrer les principaux aspects de sa prise de décision et de son exécution technique, Pascal Zuberbühler a choisi les trois exemples suivants.
Dans la vidéo n°4, extraite du match contre le Japon, Liefting choisit de jouer court. Elle en profite pour lever la tête et observer la position des autres joueuses. Elle adopte une posture ouverte et se rend disponible pour une remise. Sa première touche de balle du pied droit lui permet d’échapper au pressing adverse. Elle fait alors parler sa qualité technique des deux pieds, en adressant une passe lobée dans l’espace, que l’une des attaquantes néerlandaises va venir chercher.
Dans la vidéo n°5, Liefting repère une opportunité de franchir plusieurs lignes à l’aide d'une passe lobée vers sont avant-centre. Elle commence par se rendre disponible, en veillant à rester de profil afin de bien voir l’ensemble du terrain. En prenant l’information, elle remarque qu’une attaquante est libre et demande le ballon dans l’espace entre le milieu de terrain et la défense des États-Unis. Avant même d’être servie, Liefting sait qu’elle va jouer sur elle. Elle contrôle le ballon et s’assure que l’option est toujours disponible. Une fois qu’elle a pris sa décision, elle dose parfaitement sa passe du pied droit et franchit ainsi deux lignes américaines pour servir Robine Lacroix (n°10).
La vidéo n°6 part d’un coup de pied de but. Une fois de plus sa posture ouverte lui permet de repérer l’appel de Lacroix (n°10). Aucune attaquante ne monte au pressing, ce qui lui laisse tout le temps d’ajuster sa passe. Son service du pied droit franchit deux lignes et permet à Lacroix de recevoir le ballon dans l’espace.
Points à retenir
Par sa présence, son courage, la qualité de ses prises de décision et ses interventions décisives lors des phases avec et sans ballon, Liefting a su rassurer sa défense. D’autre part, sa vision, son intelligence et son sens du timing lui ont permis de défendre efficacement les espaces, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de sa surface de réparation.
Lors des phases de possession, elle a judicieusement observé le placement de ses coéquipières afin de déterminer quelles étaient les meilleures solutions de passe pour casser les lignes adverses. À 19 ans, elle a fait preuve d’une belle maturité et de beaucoup d’audace dans ses prises de décision et dans l’exécution des gestes techniques propres à son poste. Elle a joué un rôle prépondérant dans le bon parcours de son équipe, grâce notamment à son sang-froid dans les moments clés des matches à enjeu.