Plusieurs membres du Groupe d’étude technique venus assister au Tournoi Olympique de Football féminin, Paris 2024 étaient également présents en Australie et en Nouvelle-Zélande pour suivre la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2023™. Cette organisation présente plusieurs avantages, notamment celui de mettre plus facilement en évidence les évolutions de tendances ou d’approches tactiques.
Au cours de l’analyse de la phase de groupes en France, il est apparu assez nettement que les défenseures centrales étaient beaucoup plus impliquées dans les stratégies employées pour casser les lignes des structures défensives adverses. Les données recueillies par l’équipe Analyse des performances et tendances du football sur l’ensemble de la compétition corroborent cette observation.
PASSES EN PROFONDEUR POUR CASSER LES LIGNES
Il ressort que les défenseures centrales ont cassé beaucoup plus de lignes durant le Tournoi Olympique de Football qu’au cours de la Coupe du Monde Féminine, douze mois auparavant. Pourtant, le nombre de tentatives reste stable d’une compétition à l’autre. En France, les défenseures centrales ont connu un taux de réussite de 72,7% dans cet exercice (avec une moyenne de 17,5 tentatives de casser des lignes pour 30 minutes avec ballon). Lors de la Coupe du Monde Féminine, ce taux s’établissait à 66,7%, avec 17,7 tentatives pour 30 minutes avec ballon. On note également que, durant les Jeux Olympiques, les défenseures centrales opposées à des équipes ayant opté pour une défense à trois ont connu nettement plus de réussite dans cet exercice (60,3%) que lors d’Australie et Nouvelle-Zélande 2023 (46,9%).
Le Groupe d’étude technique a donc commencé par se demander si cette tendance ne pourrait pas s’expliquer par une baisse de l’intensité du pressing adverse. Mais l’équipe Analyse des performances et tendances du football a démontré que l’intensité du pressing était similaire d'une compétition à l’autre. En outre, l’augmentation du nombre de lignes cassées concerne aussi bien les équipes évoluant avec deux défenseures centrales que celles ayant fait le choix d’une défense à trois.
Pour Anna Signeul, cette évolution n’en est pas moins intéressante pour autant et témoigne du développement technique des footballeuses de haut niveau.
« À mesure que le rôle de défenseure centrale évolue, les exigences propres à ce poste changent. Les statistiques montrent clairement que les défenseures centrales maîtrisent de mieux en mieux l’art de casser les lignes en utilisant la verticalité du terrain. Elles ont progressé, tant dans la longueur que dans la précision. Face à des formations organisées en bloc bas ou médian, les équipes sont en mesure de poster davantage de joueuses devant le ballon. Pour peu que les défenseures centrales soient habiles, elles ont dès lors davantage de solutions.
On note par ailleurs que le pourcentage de lignes cassées par des défenseures centrales à travers le bloc défensif adverse pendant le Tournoi Olympique de Football féminin s’établit à 54,8% pour 10,5 tentatives pour 30 minutes avec ballon ; en 2023, le taux de réussite était de 48,7% pour 11,4 tentatives pour 30 min avec ballon. Tout ceci montre que les défenseures centrales sont de plus en plus efficaces lorsqu’il s’agit de transpercer ou de passer par-dessus les lignes adverses (plutôt que de les contourner).
FRANCHIR LE MILIEU DE TERRAIN
On pourrait logiquement s’attendre à voir les défenseures centrales casser la première ligne de la structure défensive adverse. Or, on observe que, face à des équipes organisées traditionnellement en trois lignes, le taux de franchissement de la ligne de milieu de terrain par des défenseures centrales s’établit à 60% à Paris, contre 47% un an plus tôt. En revanche, le nombre de tentatives pour casser la ligne du milieu de terrain pour 30 minutes avec ballon reste stable d’une compétition à l’autre : 4,2 lors des Jeux Olympiques contre 4,4 pendant la Coupe du Monde Féminine.
Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus, la façon dont les défenseures centrales s’y sont prises pour casser ces lignes est particulièrement intéressante. On constate ainsi que le nombre de lignes cassées sur des passes a atteint 73% durant les Jeux Olympiques, contre 66,7% en 2023, sachant que le nombre de tentatives pour 30 minutes avec ballon, lui, reste stable.
Cette augmentation significative dessine les contours d’une possible évolution du rôle de défenseure centrale en phase de construction. Une autre tendance intéressante concerne le pourcentage de lignes cassées balle au pied par des défenseures centrales (avancées et duels), qui régresse (87,7% en 2023 contre 80% en 2024). Ces chiffres s’expliquent en partie par la forte baisse du nombre d’avancées tentées en France (0,3 pour 30 minutes avec ballon) par rapport à Australie et Nouvelle-Zélande 2023 (1,1 pour 30 minutes avec ballon).
Pour Gemma Grainger, c’est une évolution significative.
« On observe une légère tendance dans les circonstances qui entraînent ces passes des défenseures centrales. Comme l’illustre la vidéo ci-dessous, elles ont souvent lieu face à un adversaire qui évolue en bloc bas ou médian. Dans ce contexte, les défenseures centrales ont davantage de temps et d’espace devant elles. Elles s’emploient dès lors à empêcher les milieux axiales de prendre le contrôle du ballon. Les défenseures centrales sont beaucoup plus adroites balle au pied désormais, et pour peu qu’on leur laisse du temps et de l’espace, elles peuvent vraiment provoquer de gros dégâts dans les défenses adverses. Les équipes qui défendent vont donc devoir prendre cette donnée en compte au moment de réfléchir à leur pressing. »
TYPES DE FRANCHISSEMENTS DE LIGNES
Le Groupe d’étude technique a choisi plusieurs vidéos afin d’illustrer la façon dont les défenseures centrales ont opéré ces franchissements, ainsi que les différentes situations observées.
Passe sans opposition par-dessus la structure défensive adverse
Face à une équipe en 4-4-2 avec un bloc médian, la France, qui évolue en 4-3-3, se retrouve bloquée dans le couloir. Le ballon est joué en retrait sur la défenseure centrale gauche, Wendie Renard (n°3). Libre au moment de recevoir le ballon, elle repère l’appel d’une attaquante dans le dos de la défense colombienne. Son service parfaitement dosé passe au-dessus des trois lignes de la structure défensive colombienne et arrive directement sur Marie-Antoinette Katoto (n°12), à l’entrée de la surface de réparation.
Passe sans opposition à travers la structure défensive adverse
Construisant patiemment face au 4-4-2 en bloc médian des États-Unis, les défenseures centrales allemandes Marina Hegering (n°5) et Kathrin Hendrich (n°3) échangent des passes entre elles et avec leur gardienne. Lorsque la milieu de terrain Janina Minge (n°6) est servie entre la première et la deuxième lignes américaines, elle se retourne et décide de remettre sur Hendrich, qui s’avance pour recevoir le ballon. Libre, elle progresse balle au pied avant de servir l’avant-centre Sjoeke Nüsken (n°9), franchissant au passage le milieu de terrain américain.
La vidéo n°3 ci-dessous présente un exemple similaire. Cette fois, les trois défenseures centrales canadiennes sont à la manœuvre face à une équipe qui a opté pour une défense à quatre. La Nouvelle-Zélande est bien organisée en 4-1-4-1 avec un bloc médian et n’exerce aucune pression sur la porteuse du ballon. Adriana Leon (n°11), l’attaquante canadienne, appelle le ballon dans l’espace situé entre le milieu de terrain et la défense néo-zélandaise. La défenseure centrale droite, Jade Rose (n°12), déclenche immédiatement une passe vers l’avant et casse la ligne médiane.
Avancées balle au pied et prises de risque
On remarque également que certaines défenseures centrales n’hésitent pas à prendre davantage de risques pour faire progresser le jeu de leur équipe. Tirée du quart de finale entre l’Espagne et la Colombie, la vidéo n°4 constitue un bon exemple de ce type d’actions. Les deux défenseures centrales, Irene Paredes (n°4) et Laia Aleixandri (n°14) reprennent leurs places à la suite d'un coup de pied arrêté. L’Espagne entame une nouvelle phase de construction, à laquelle les deux joueuses participent.
Aitana Bonmatí (n°6) reçoit le ballon et se retourne. Ce faisant, elle s’ouvre des espaces au centre du terrain, bien aidée par l’appel de Patricia Guijarro (n°12). Elle invite alors sa défenseure centrale gauche à s’avancer. Une fois servie, Aleixandri poursuit sur sa lancée et transperce la ligne de milieu de terrain colombienne avec une passe qui aboutit à la création d'une occasion franche. Il convient également de noter que les Espagnoles laissent cette action se développer, alors même qu’elle conduit à laisser la dernière défenseure en situation de un contre un en cas de perte de balle. Une telle assurance en dit long sur l’état d’esprit de cette équipe.
Effets de la composition du milieu de terrain
L’augmentation du taux de réussite des franchissements de lignes tentés par des défenseures centrales invite à s’interroger sur la situation des milieux de terrain. On note d’intéressantes différences selon que les équipes choisissent d’aligner une ou deux milieux de terrain défensives.
Durant les Jeux Olympiques 2024, les défenseures centrales ont davantage distribué le ballon pour 30 minutes avec ballon lorsqu’elles avaient devant elles une seule milieu défensive (72,6) plutôt que deux (54,5). Ces statistiques sont particulièrement instructives lorsqu’on les compare à celles d’Australie et Nouvelle-Zélande 2023 : elles comptaient alors 61,8 distributions pour 30 minutes avec ballon avec une milieu défensive contre 59,7 avec deux milieux défensives.
On constate donc qu’en 2023, le nombre de milieux défensives n’avait que peu d’effet sur la relance des défenseures centrales ; en France, en revanche, les écarts pour 30 minutes avec ballon sont nettement plus significatifs, tant avec une milieu défensive (+10,8) qu’avec deux (-5,2).
Pour Kirsty Yallop, « lorsque les équipes évoluent en bloc médian, elles cherchent avant tout à empêcher la milieu défensive adverse d’être servie dans de bonnes conditions. Cette organisation est avantageuse pour les défenseures centrales, qui disposent ainsi de plus de temps et d’espace. Il leur revient alors de jouer vers l’avant. Les équipes qui évoluent avec une seule milieu défensive ont logiquement une joueuse en plus au-devant du ballon, ce qui offre une solution supplémentaire entre les lignes ou en profondeur ».
RÉSUMÉ
Les défenseures centrales tiennent un rôle de plus en plus important dans le jeu vers l'avant de leur équipe, grâce notamment à leur capacité à casser les lignes. Cette tendance est généralisée et concerne aussi bien les défenses à trois qu’à quatre.
De plus, les défenseures centrales cassent davantage les lignes de milieu de terrain que lors d’Australie et Nouvelle-Zélande 2023, alors même que l’intensité du pressing reste inchangée.
L’amélioration du niveau technique des défenseures centrales se traduit par des passes verticales plus précises, en particulier en l’absence de pressing de la part d’un adversaire disposé en bloc bas ou médian.
Enfin, on constate que la distribution des défenseures centrales est plus efficace lorsque leur équipe joue avec une milieu défensive plutôt que deux.