Présents à chaque rencontre des Tournois Olympiques de Football, le Groupe d'étude technique de la FIFA et l'équipe Analyse des performances et tendances du football ont assisté à l’incroyable victoire 6-5 de l’équipe d’Australie féminine, pourtant menée 5-2 à la 56e minute du match contre la Zambie comptant pour la deuxième journée de la phase de groupes.
En s’appuyant sur des phases de transition rapides, la Zambie est parvenue à prendre trois buts d’avance, avant de céder sous la pression d’une formation australienne revigorée par un triple remplacement effectué à la 57e minute de jeu. Dans cet article, Gemma Grainger passe en revue les principaux aspects tactiques et les différents tournants de cette rencontre complètement folle.
ZAMBIE, PRESSING ET TRANSITIONS OFFENSIVES
En première période, la Zambie a appliqué un pressing agressif en misant sur un système en 4-4-2 et une approche ciblée. Dès la récupération du ballon, les Zambiennes ont su tirer parti de leur vitesse et de leur puissance physique pour enclencher des contre-attaques tranchantes, en se projetant vers le but adverse sans aucune arrière-pensée. L'objectif était alors de trouver rapidement les attaquantes Barbra Banda (n°11) et Kabange Mupopo (n°9), positionnées de façon à pouvoir aller défier les défenseures australiennes en duel.
L’impact de Barbra Banda
Selon Grainger, « Barbra Banda pose d’énormes problèmes à la plupart des défenseures en situation de un contre un à cause de sa vitesse, de ses appels variés et de sa volonté de prendre la profondeur avec comme sans le ballon. Ses adversaires directes hésitent alors entre rester sur leurs appuis afin de ne pas se faire éliminer trop rapidement et intervenir dès sa prise de balle. Sa capacité à provoquer balle au pied et ses courses dans le dos des défenses la rendent extrêmement dangereuse. En situation de contre, elle était épaulée par des joueuses très rapides, à l’aise avec le ballon et qui n’avaient pas peur de percuter ».
« Priver Banda de ballons peut alors apparaître comme la meilleure façon de la museler, mais la capacité de la Zambie à jouer vers l’avant dès la récupération du ballon lui permet d’annihiler les tentatives de contre-pressing adverses. »
Transitions rapides
D’un point de vue tactique, la Zambie s’est appuyée sur des phases de transition rapides tout en empêchant son adversaire de construire le jeu. Cette observation est confirmée par les données de la FIFA, qui indiquent non seulement que la Zambie a passé 32% de son temps sans le ballon en transitions offensives, mais aussi qu’aucune des deux équipes n’a contrôlé véritablement la possession du ballon pendant 16 % de la rencontre (remarque : ces deux statistiques sont les plus élevées dans la compétition à ce jour).
Grainger a sélectionné les deux vidéos ci-dessous afin d’illustrer l’approche zambienne en première période :
« Sur la première vidéo, il est difficile de déterminer le système de jeu zambien à cause de cette approche ciblée. Les Australiennes sont forcées d'accélérer le jeu à cause du pressing individuel agressif, alors que les Zambiennes sont à l’affût d’une éventuelle interception. Elles récupèrent le ballon près du but adverse et ne se font pas prier pour aller tenter leur chance. Si le but a finalement été inscrit par Rachael Kundananji (n°17), l’appel de Banda s’est avéré décisif : soucieuse de ne pas la laisser filer dans son dos, la défenseure centrale droite australienne Alanna Kennedy (n°14) n’est pas intervenue immédiatement sur la porteuse du ballon ».
« Sur la deuxième vidéo, la transition offensive se fait bien plus bas. La Zambie récupère le ballon dans ses 30 mètres et se projette immédiatement vers l’avant. Alors que Banda progresse balle au pied, les défenseures adverses peinent à rester au contact des autres joueuses zambiennes parties à toute vitesse. Cette vidéo illustre à nouveau cette intention de se créer des situations de un contre un en attaque », poursuit Grainger.
CHANGEMENT D’APPROCHE AUSTRALIENNE
Alors que son équipe était menée 5-2 à la 57e minute, le sélectionneur australien Tony Gustavsson a joué son va-tout avec les entrées simultanées de Michelle Heyman (n°2), Kaitlyn Torpey (n°3) et Clare Wheeler (n°17). L’Australie a marqué 18 secondes plus tard, les trois remplaçantes jouant un rôle clé dans cette réduction du score.
Comme Grainger l’a souligné, « les remplacements et les modifications tactiques effectués par Gustavsson ont bouleversé la dynamique du match. C’était assez impressionnant à voir. En première mi-temps, l’Australie a systématiquement tenté de trouver Kyra Cooney-Cross (n°8) dans l’entrejeu. La Zambie l’a rapidement compris et a su adapter son pressing en conséquence. C’est d’ailleurs en jouant rapidement vers l’avant que l’Australie s’est montrée dangereuse en début de partie. Une fois menées 5-2, les Matildas ont commencé à rivaliser avec la Zambie en matière d’intensité, elles ont cherché à jouer plus vite vers l’avant et dans la profondeur. »
Steph Catley et son nouveau rôle
En première période, la capitaine australienne Steph Catley (n°7) a été déployée en tant qu’arrière gauche traditionnelle. Elle était chargée de prendre son couloir lorsque ses partenaires avaient le ballon, les attaquantes Caitlin Foord (n°9) et Mary Fowler (n°11) dézonant pour venir occuper les défenseures droites zambiennes. Dans le même temps, Emily van Egmond (n°10) décrochait dans l’axe pour tenter de déstabiliser le milieu et la défense de la Zambie. Cette volonté australienne de créer le surnombre sur le flanc gauche est clairement visible sur les images ci-dessous.
Même si ce schéma a permis à l’Australie de créer le danger à plusieurs reprises au cours des 56 premières minutes, Grainger souligne l’évolution du rôle de Catley après le triple remplacement :
« Une fois ces remplacements effectués, Catley a occupé une position plus centrale quand l’Australie avait le ballon. C’est alors l’attaquante Mary Fowler (n°11) qui s’est déportée sur l’aile pour provoquer l’arrière droite zambienne. La quatrième vidéo ci-dessous illustre parfaitement ce changement : Caitlin Foord (n°9) occupe la défenseure centrale droite sur son aile, Michelle Heyman (n°2) est marquée par la défenseure centrale gauche, tandis que Kaitlin Torpey (n°3) est suivie par l’arrière gauche. En repositionnant Foord dans l’axe et envoyant quatre joueuses offensives défier la défense zambienne (en créant simultanément quatre situations de un contre un), les Australiennes sont parvenues à isoler les défenseures adverses et à se créer des espaces dans leur dos. Grâce à ses courses intelligentes, Catley a réussi échapper au pressing lorsqu’elle demandait le ballon dans cette zone du terrain. Sa capacité à jouer rapidement vers l’avant a ensuite permis à ses coéquipières de prendre la profondeur ».
Ces changements ont perturbé les défenseures zambiennes, qui ont eu de plus en plus de mal à éloigner le danger de leur but, à faire les bons choix et à presser haut comme elles l’avaient si bien fait avant la pause.
INTENSITÉ AUSTRALIENNE
Revenue à 5-3, l’Australie a mis davantage d'intensité dans le jeu. Notre équipe Analyse des performances et tendances du football a comparé les données enregistrées avant et après le triple remplacement (0-56 minutes et 57-90+9 minutes) afin de comprendre exactement l’impact de ce regain d’énergie sur le déroulement de la rencontre.
Changement de dynamique
La dynamique d’un match est un facteur intangible mais potentiellement décisif. La moindre action ou décision, volontaire comme accidentelle, peut totalement chambouler la physionomie d’une rencontre, dans un sens comme dans l’autre.
En comparant les statistiques australiennes avant et après cette fameuse 57e minute de jeu, le graphique ci-dessous illustre l’élan offensif insufflé à la formation de Tony Gustavsson par ce triple remplacement. Après n’avoir réussi que 12 cassages de lignes défensives en 56 minutes, les Matildas en ont réalisé presque autant (10) entre la 57e et la fin du match. Le nombre de ballons réceptionnés dans le dos de la ligne défensive zambienne (par minute de jeu) enregistre également une hausse au cours de cette période.
L’Australie a aussi pénétré plus fréquemment dans les 30 mètres adverses et tenté plus de centres dans le jeu après la 56e minute.
Comme Grainger le souligne, « la dynamique du match a changé à 5-3. Même si une intervention de la VAR les a privées d’un nouveau but trois minutes plus tard, les Australiennes ont totalement relancé le match en revenant à 5-4 dès la 65e minute. Les joueuses de Gustavsson, qui avaient visiblement fait le plein de confiance, se sont régulièrement montrées dangereuses sur coups de pied arrêtés face à une équipe de Zambie coupable de quelques maladresses en défense. L'Australie a alors pris l’ascendant sur un adversaire qui a commencé à perdre son sang-froid en défense ».
À 12 minutes de la fin, Catley a fait mouche du point de penalty (à la suite d’une action offensive rondement menée) pour remettre les deux équipes à égalité (5-5). Elle a ensuite servi Heyman, l’une des trois remplaçantes décisives, pour le but de la victoire à la 90e minute.
« La séquence menant au dernier but illustre à merveille ce regain d’intensité australien », ajoute Grainger. « La cinquième vidéo ci-dessous est le parfait exemple de la qualité et de l’intensité du pressing et du contre-pressing exercés par l’Australie, et ce à la 90e minute d’une rencontre éprouvante. »
« Les Australiennes ont cherché à jouer vers l’avant dès la récupération du ballon et ont rapidement pu trouver Catley, libre de tout marquage dans l’axe. Avec quatre joueuses au-devant de la porteuse du ballon, l’Australie s’est retrouvée en position de force face à une arrière-garde zambienne désarçonnée. Servie dans le dos de la défense, Heyman n’a pas tremblé pour ajuster la gardienne adverse en première intention et offrir une victoire mémorable à son équipe. ».
RÉSUMÉ
En exerçant un pressing individuel et ciblé, la Zambie est parvenue à se créer de nombreux contres tranchants, menés à merveille par ses attaquantes. Raffolant de ce genre de situations, Barbra Banda s’est offert un triplé et a délivré une passe décisive pour permettre à la sélection africaine de mener 5-2 face à une équipe d’Australie gênée par les phases de transition répétées et à la peine dans la conservation du ballon.
Mais un triple changement a totalement inversé la dynamique du match et permis à l’Australie de reprendre l’ascendant sur son adversaire. En plus d’avoir remplacé trois de ses joueuses, le sélectionneur australien Tony Gustavsson a encouragé ses troupes à jouer plus rapidement vers l’avant et dans le dos de la défense zambienne, tout en repositionnant Catley et Foord dans des rôles plus axiaux. Ces changements ont permis à l’Australie de hausser son niveau d'intensité aussi bien avec que sans le ballon pour renverser la vapeur. Le résultat ne s’est pas fait attendre : avec quatre réalisations en 33 minutes, les Matildas ont arraché une victoire aussi folle qu’inoubliable.