Alors que la phase à élimination directe progresse vers sa conclusion dans le Tournoi Olympique de Football masculin, les matches sont de plus en plus disputés. Le Groupe d’étude technique de la FIFA et l’équipe Analyse des performances et tendances du football sont présents en France pour observer chaque rencontre et décortiquer les innovations techniques et tactiques déployées par les formations en lice. Ici, Anna Signeul, membre du Groupe d’étude technique, détaille l’impressionnante stratégie offensive qui a permis à l’Espagne de s’imposer largement (3-0) face au Japon, en quart de finale. À l’issue de la rencontre, la Suédoise ne cachait pas son admiration :
« Les Espagnols s’en sont remis à une stratégie claire pour construire leurs actions et franchir la première ligne de pressing japonaise. Ensuite, ils se sont appuyés sur la vitesse de leurs transmissions vers l’avant et de leurs appels pour s’ouvrir des espaces et les exploiter. Lors de ces phases de jeu, l’excellence technique des joueurs espagnols a littéralement sauté aux yeux ».
Franchir la première ligne de pressing
Partant généralement d’assez bas, les Espagnols ont dû travailler dur pour franchir la première ligne de pressing japonaise, très agressive. Dans cette optique, ils ont pu compter sur leur aisance balle au pied, mais aussi sur les déplacements de leurs milieux axiaux, indispensables pour créer le surnombre, casser les lignes défensives et participer à la remontée du ballon. Cet aspect du jeu espagnol n’a évidemment pas échappé à Signeul :
« Les Japonais ont exercé un pressing haut, en ce concentrant sur les défenseurs centraux, les latéraux et le milieu de terrain le plus reculé, Pablo Barrios (n°6). Face à cette situation, l’un des autres milieux redescendait pour offrir une solution à ses coéquipiers. Les hommes de Santi Denia se sont révélés très habiles dans cet exercice, notamment du fait de leur maîtrise technique, qui leur a permis de jouer à une touche de balle malgré la pression japonaise. On aurait tort de voir dans ces séries de passes une manière de faire tourner le ballon ; chaque geste a été pensé pour franchir les lignes adverses. Les Espagnols ont cherché à déjouer le pressing, mais aussi à profiter des espaces laissés libres derrière les joueurs venus harceler le porteur du ballon. »
Organisation défensive japonaise
Théoriquement disposé en 4-4-2 en phase de récupération, le système japonais s'est parfois transformé en un3-1-4-2, comme le montrent les images ci-dessous. Cela s’est notamment produit lorsque le défenseur central gauche, Seiji Kimura (n°5) décrochait pour prendre au marquage l’un des deux milieux offensifs espagnols à l’amorce du pressing. Les Japonais ont progressivement abandonné leur structure en 4-4-2 au profit d’un pressing individuel. Comme l’indique le tableau ci-dessous, ils sont montés 327 fois au pressing contre l’Espagne, ce qui représente le total le plus élevé depuis le début de la compétition.
Surnombres dans l’axe
Face au pressing japonais, l’Espagne a utilisé ses milieux axiaux pour créer le surnombre et franchir la première ligne. À chaque fois que le milieu offensif espagnol redescendait pour se proposer, Kimura faisait face à un dilemme : lâcher le marquage individuel et libérer un joueur espagnol ou le poursuivre, au risque de laisser des espaces au sein de sa défense.
Comme on peut le voir sur les tableaux suivants, ces déplacements et ces appels ont permis aux joueurs espagnols de recevoir beaucoup de ballons à l’intérieur du bloc japonais : 75 fois en tout dans ce match, soit 19 de plus que lors de n’importe quel autre match de la compétition à ce jour. En outre, la vitesse et la précision des passes espagnoles ont créé des brèches dans les lignes japonaises. La Roja ne s’est pas privée de les exploiter – elle a ainsi franchi les lignes défensives à 48 reprises durant la rencontre.
Comme Signeul ne manque pas de le souligner, la technique individuelle espagnole a été prépondérante :
« Grâce à leur technique irréprochable, les Espagnols ont été en mesure de faire circuler le ballon très rapidement. Les passeurs se sont appliqués pour servir leurs partenaires sur leur bon pied, tandis que les receveurs ont veillé à garder une posture ouverte pour faciliter le jeu à une touche de balle. De plus, on ne peut qu’être impressionné par leur capacité à se proposer après des courses rapides, et à contrôler dans une posture fermée. Les Espagnols ont aussi très habilement protégé le ballon de la pression adverse, avant de se retourner pour jouer vers l’avant. La vitesse et l’intensité des passes dans des espaces resserrés sont autant d’éléments très importants. Il faut aussi être capable de faire le bon choix entre une passe dans les pieds et un service en profondeur. Tous ces éléments découlent généralement d’une grande aisance technique. Des joueurs plus limités n'en sont pas capables. Une fois le pressing déjoué, les Espagnols ont su créer une dynamique offensive puissante en mettant beaucoup de vitesse dans leurs passes et leurs appels. Pour une équipe comme l’Espagne, le temps et l’espace se confondent. »
La vidéo 1 ci-dessous illustre la façon dont l’Espagne a utilisé ses milieux de terrain pour développer son jeu. Alors que le Japon entame son pressing, Fermín López (n°11) recule pour se proposer ; Kimura ne le suit pas. Sa présence au côté de Barrios (n°6) crée le surnombre, obligeant le milieu de terrain japonais Joel Fujita (n°8) à faire un choix. Il décide finalement de venir sur Barrios, une fois celui-ci servi. S’ensuit un jeu en triangle rapide, à une touche de balle, au terme duquel Fermín López reçoit le ballon, libre de tout marquage. L’autre milieu axial japonais, Rihito Yamamoto (n°7) se retrouve contraint de monter sur lui, alors que le Japon entame son pressing individuel. Fermín López se retourne et échappe à la pression de son adverse. Un vaste espace se libère au milieu de terrain et il décide alors de renverser le jeu de l’autre côté.
À ce stade, un autre milieu axial, Alejandro Baena (n°10), se trouve lui aussi démarqué. Il peut donc être servi dans un premier temps, avant de combiner avec les attaquants lancés vers le but japonais. Sergio Gómez (n°17) prend l’espace sur la gauche et réalise un appel dans l’espace, tandis que l’arrière gauche Juan Miranda (n°3) remonte le terrain pour créer sur le surnombre.
RÔLE DE L’AVANT-CENTRE
En plus de ces déplacements dans l’axe du milieu de terrain, Abel Ruiz (n°9), l’avant-centre espagnol, a lui aussi largement contribué à perturber la structure défensive japonaise. Au fil des minutes, il n’a eu de cesse de créer des espaces dans les rangs adverse. Il a souvent attiré des défenseurs lorsqu’il redescendait pour chercher le ballon, posant de gros problèmes d’organisation aux Japonais. Les Espagnols se sont aussi montrés très efficaces pour prendre les espaces libérés par la montée de ces défenseurs, mais aussi pour faire parvenir le ballon dans ces zones.
Comme l’explique Signeul, « l’avant-centre espagnol s’est souvent rendu disponible pour recevoir le ballon, que ce soit dans la profondeur ou dans les pieds. Il a utilisé son physique pour tenir les défenseurs à distance et, au final, c’est lui qui a imposé son placement à la défense japonaise. Lorsqu’il est redescendu, il a créé des espaces entre le milieu et la défense adverses. Et dans le jeu, il a habilement combiné avec ses partenaires. Il a été un relai très utile pour ses partenaires, mais aussi une fausse piste intéressante pour attirer les défenseurs et libérer des espaces dans lesquels ses partenaires ont pu s’infiltrer. »
Les vidéos ci-dessous permettent de mieux comprendre les déplacements de Ruiz et sa participation au jeu de son équipe. Dans la vidéo 2, on le voit redescendre pour profiter de l’espace libéré par le milieu offensif Fermín López, descendu lui aussi pour offrir une solution. À peine servi, Ruiz joue sur Baena (n°10), qui oriente le jeu vers l’espace laissé libre par le défenseur qui a suivi l’avant-centre espagnol.
L’action de la vidéo 3 se déroule à la 90e minute de jeu. Elle montre que l’Espagne a conservé la même approche et la même stratégie, malgré les remplacements. Elle met également en lumière l’ensemble des composantes du jeu espagnol décrits jusqu’à présent : les milieux axiaux descendent pour créer le surnombre et franchir la première ligne de pressing, les passes rapides vers l’avant, les déplacements de l’avant-centre qui ouvre des espaces au-devant du ballon, les renversements de jeu grâce au milieu resté libre et le dédoublement orchestré par l’arrière gauche. Quand l’Espagne associe tous ces éléments, elle devient très difficile à manœuvrer, comme le souligne Signeul :
« Les Espagnols ne se contentent pas d’appeler le ballon. Chaque action amène une autre action. Même lorsqu’ils se retrouvent en un contre un avec un adversaire, ils ne changent pas de cap. Dès qu'un joueur libère le ballon, il repart vers l’avant. C’est ce qui permet de créer le surnombre et de déstabiliser les défenseurs qui sont déjà au marquage individuel. C’est un jeu offensif de très haut niveau ».
TRANSITION VERS L’ATTAQUE
Lors des transitions offensives, l’Espagne a appliqué les mêmes principes : progresser rapidement et utiliser les milieux de terrain pour créer des espaces et provoquer le surnombre dans l’axe. À la perte du ballon, les Espagnols ont appliqué un pressing agressif. En cas de récupération, ils ont cherché à jouer vers l’avant en première intention, en privilégiant les solutions vers des joueurs libres et en dehors de la zone couverte par le contre-pressing japonais.
Pour illustrer son propos, Signeul a choisi deux autres séquences. Pour elle, la vitesse d’exécution a été l’une des clés du succès espagnol.
« Dans la vidéo 4, Eric García (n°4), le défenseur central droit, récupère le ballon en interceptant une passe vers l’avant. Il s’avance et transmet vers Baena (n°10), qui dispose d’un vaste espace devant lui et n’est pas couvert par le contre-pressing des joueurs japonais. Avant même que Baena touche le ballon, Gómez (n°17), l’ailier gauche, prend l’espace devant lui, à l’extérieur de la ligne défensive du Japon. Baena reçoit le ballon et poursuit sa course dans l’axe. Plusieurs Espagnols arrivent en soutien d’un côté comme de l’autre, notamment Miranda (n°3), l’arrière gauche, qui n’a pas été suivi. La vitesse de cette action illustre l’écart entre les deux équipes ».
Pour finir, la vidéo 5 permet d'observer une autre transition offensive rapide partant cette fois de l’arrière gauche Miranda (n°3), qui remonte le terrain pour apporter le surnombre.
Résumé
En s’appuyant sur ses qualités techniques, sa capacité à accélérer le jeu et la précision de ses passes pour franchir la première ligne de pressing, l’Espagne a pu s’ouvrir des espaces dans d’autres parties du terrain. Grâce à ses trois milieux axiaux, elle s’est assurée la suprématie dans les phases de construction et de progression. Une fois le pressing déjoué, elle s’est rapidement lancée vers l’avant, en associant des renversements de jeu fulgurants, des appels incessants et de nombreuses solutions offensives. L’avant-centre espagnol a énormément pesé sur le placement de la ligne défensive japonaise, en reculant fréquemment pour recevoir le ballon entre les lignes. Il a ainsi libéré des espaces derrière lui. Enfin, les montées des défenseurs ont contribué à créer le surnombre dans les 30 derniers mètres, rendant les attaques espagnoles très difficiles à arrêter.
Au bout du compte, la défense japonaise a été submergée par la technique, les appels et l’intelligence tactique des Espagnols. Forte de sa victoire convaincante sur le Japon, la Roja affrontera le Maroc en demi-finale, une rencontre décisive dans la course au podium.